20.9.06

un monde (6)

dessin d.m.




Par des nuits
plus sombres encore,
quand l’eau
des étangs noirs
se lève
et se fige
en volutes
de coton gris,
rendant aveugles
jusqu’au lynx acéré
jusqu’au rapace nocturne,
il se trouve souvent,
cherchant son chemin
à tâtons,
jurant sourdement
aux obstacles
invisibles,
quelque homme
dévoré du mal
de n’être que peu,
de n’être personne,
de n’être rien
et qui s’est résolu
devant l’impuissance
de ses petits poings
de ses petits cris,
à venir voler
incognito,
risquant sa vie
aux mille dangers
de la forêt
opacifiée
jusqu’en ses frondaisons,
à venir voler
de sa force,
de sa superbe,
au géant.







dessin d.m.




Arraché
à la glaise
du commun
par d’irrépressibles
instincts
d’écrabouillage,
mu par la certitude
d’ouvrir ainsi les portes
d’un destin lumineux
puissant,
l’homme
ruminant quelles menaces !
et quels projets !
s’avance pas à pas
à l’aveuglette
seul au monde
jusqu’à heurter
de son front emplumé
la masse vertigineuse.
Le contact est rude
à l’os de l’homme,
mais quel présage
de sa future dureté,
de ce qu’il sera
après,
de ce que de toute évidence
il doit être,
aurait toujours
dû être.


L’homme
plaqué à l’Hercule dressé
bien au-dessus
des brumes sombres
l’embrasse
l’étreint
le mesure
en fait le tour
frappant le sol
comme pour effrayer
les esprits endormis
des autres âges,
chuinte
comme des prières
ou des sortilèges,
s’anime
rouge et rude
de bouffées orgueilleuses,
transperce
de ses yeux fous
la masse
pourtant si dense
pour en saisir
les pulsations vitales,
les circulations internes,
les flux nourriciers.


Oui,
ça s’élève doré
mielleux
épais
goulûment,
comme une vague
aspirée
par le vide stellaire,
sous l’écorce
du monstre,
c’est palpable.








dessin d.m.




Puis le rite :

L’homme
un couteau
un poignard
une incision jaune
dans l’arbre,
rouge
au bras humain.
Ces deux coulées s’unissent
se mélangent.
Les forces mystérieuses
miraculeuses sûrement
évidemment,
se subliment
se diluent
ondoyant
vert et or
au courant chaud
de la veine
ouverte
de l’homme,
et le voici, lui,
le bipède
orgueilleux
emplumé
impérial
divin
élu Maître
des secrets du monde
s’emplissant
d’inexpugnable
d’imputrescible
d’indéracinable
d’inébranlable.
Le voilà, lui,
le bipède
le rongeur de racines
et de squelettes putrides
invité
aux festins célestes,
oint
de par les sèves ignées
volées
au pouls
du dieu feuillu
pour être enfin
celui qu’il est
qu’il veut être
qu’il aurait dû être
aux yeux
du monde
des bipèdes.


Le voilà
le petit homme
à pattes de sauterelle
se tournant
dos à l’arbre impassible
levant les bras
au ciel lourd
de buées sales,
jetant
à la face ahurie
des hiboux alarmés,
des cris de guerre
des cris de haine
les cris d’un enfant fou
qui se croit
devenu homme ;
le voilà,
exhibant
au courant
des volutes grises
son sexe
transi de froid,
s’acharnant
à le dresser
à le hisser
à le rigidifier
d’un poignet rageur ;
le voilà,
le gland violacé et gonflé,
réveillé enfin ;
le voilà qui hurle,
les yeux exorbités
aveuglés de sang
et de brume poisseuse
qu’il est l’égal
qu’il est le maître
de l’arbre.


Et les défis idiots
imbéciles
barbares
arrogants
s’échappent de sa fièvre
en un grinçaillement
en un criaillement
d’apocalypse et,
dans un râle de damné,
l’homme exulte enfin
de quelques gouttes,
sitôt figées,
de sa semence nouvelle
et enrichie, croit-il,
à la puissance
de la liqueur
végétale.







dessin d.m.




Soulagé,
rempli de lui-même
halluciné
par son propre courage
et la certitude
de son destin
dévoilé enfin,
une dernière fois
l’homme- arbre
lève les yeux au ciel
de coton gris,
emplit ses poumons
des miasmes de l’étang
et s’étrangle :


- « Je baise le monde entier ! »

Il n’a plus
qu’à repartir,
rassuré,
jusqu’à la case triste
du village lointain
où personne
ne l’attend.



« Des hommes sont venus » Texte déposé à SACD/SCALA




av 6 suit

4 commentaires:

Anonyme a dit…

"dévoré du mal
de n’être que peu,
de n’être personne,
de n’être rien"

rien...
rien.........
rien..................
ou personne.......
ou si peu....
et si mal.

tout le reste est d'artifice

feu...
de couleurs....
de tout bois.....
de ce bois-là.......
qui rend l'homme..........

"orgueilleux
emplumé
impérial
divin
élu Maître
des secrets du monde"...

Puccini "Amore e grillo"

bonne nuit Hombre de nada

Anonyme a dit…

A toi aussi, Camille. Ce soir, par ici, le vent virevoltant Dieu sait quelle sarabande, nous chante des histoires à tue-tête. Je les note précieusement pour vous les dire un jour. J'espère de tout coeur que tu seras là !

Anonyme a dit…

Alors qu' il aurait pu fraterniser avec l' arbre en un complice mariage de sang et de sève, voici apparaître l' homme conquérant, belliqueux...
Est-ce donc son profond désespoir qu' il cherche de la sorte à exorciser?

Anonyme a dit…

Sais-tu, Kaïkan, je crois que je ne me suis jamais senti aussi heureux dans ma vie que les quelques fois où j'ai planté un arbre. Un espèce de sentiment d'éternitude calme, en paix avec le monde entier... Sentir en l'arbre comme un frêre...