30.10.06

l'heure de gloire (4)

dessin d.m.





Sur un petit mamelon,
barbu d’une herbe sèche,
un petit garçon
tout nu, assis,
une feuille de papier
sur les genoux,
un crayon multicolore
dans la main.
Il dessine.
Une petite fille,
nue aussi,
tournicote
autour de lui
comme une mouche
agaçante.








dessin d.m.




« - Qu’est-ce que tu dessines ?

- Ben, je dessine la fête, là-bas
et le gros arbre au milieu.


- Je peux regarder ?

- Pas encore, j’ai pas fini.

- Y’a quoi, sur ton dessin ?

- Ben, y’a l’arbre, je t’ai dit,
y monte jusqu’au ciel
il est bleu, le ciel
il est vert, l’arbre.
Tout en bas de l’arbre
y’a les papas
et les mamans
et tous les gens.


- Qu’est-ce- qu’y font
tous les gens
les papas, les mamans ?


- Ben, y sont là,
en bas de l’arbre,
y dansent
y chantent
y crient.


- C’est tout c’qu’y’a,
sur ton dessin ?


- Non, y’a aussi
des écureuils
des oiseaux
de toutes les couleurs
et des scarabées
et des fourmis !
Y sont tous dans l’arbre
et y regardent la fête ! »









dessin d.m.





Bien sûr,
de son petit mamelon
barbu d’herbe sèche
il ne peut voir les écureuils
les oiseaux, les fourmis, les scarabées,
mais il est venu tant de fois
jouer à l’ombre
fraîche du monstre,
mais son grand-père
lui a tant raconté
le monde de l’arbre
qu’il n’a pas besoin
de voir l’écureuil
l’oiseau, la fourmi
le scarabée
pour les dessiner,
de son crayon
multicolore,
volant
cabriolant
rampant
tiraillant de lourdes brindilles.


Il les sait,
il les dessine
avec son cœur.


La petite fille toute nue
s’immobilise devant lui,
interposée juste
entre le dessin et l’arbre,
déhanchée,
tête inclinée,
tout sourire.


« - Je peux le voir
ton dessin, dis ?


- Pousse-toi,
tu me caches…
Hé ! regarde !
L’arbre ! Y danse !
Regarde, l’arbre
Y s’approche !
Y s’approche ! »








dessin d.m.






La petite fille se retourne
frémit
serre sa tête
entre ses mains crispées
et hurle
et poignarde
l’espace
de son cri
qui n’en finit plus.





« Des hommes sont venus » Texte déposé à SACD/SCALA

av 21 suit

26.10.06

l'heure de gloire (3)

dessin d.m.






La lutte tronçonneuse, peut-être stimulée par cet essai infructueux de démoralisation, se poursuit de plus belle sous les « vivat » populaires. Malgré l’éthylisation générale de ses découpeurs, malgré l’hécatombe de mains, de doigts, de visages éclatés, le camp blanc rogne à rage que-veux-tu dans le gras de l’arbre. Du côté rouge, on ne se désunit pas dans le rythme ni dans la volonté de maîtriser le monde, mais les haches s’émoussent, se dentellisent, des meules se sont égarées, on en cherche d’autres et l’on a pendu, pour l’exemple, le responsable de l’intendance. Ça donne à réfléchir aux autres qui redoublent de fierté, de puissance, de méchanceté, de discipline, de bêtise.

En dépit des incidents
des maladresses
des imprévisions,
de l’énormité de la tâche,
de la dureté même
du bois qui use
les lames et les hommes,
des deux côtés
le travail avance,
des deux côtés
l’arbre est profondément entamé,
il y a longtemps
qu’ont été épluchées
les couches protectrices,
la saignée s’enfonce loin
dans la matière vive.










dessin d.m.






Pour pénétrer
davantage dans la masse
il a fallu élargir tout ça,
en haut, en bas,
on se tient désormais,
pour poursuivre la manœuvre,
à l’intérieur même
de la blessure ;
cela rend le labeur
harassant,
on est courbé pour hacher
encore et encore,
plus loin, plus profond ;
le monstre ligneux
se vide en longs sanglots
de sève épaisse, gluante,
les hommes en sont enduits
de la tête aux pieds,
ils poissent
ils collent,
ils tressent
dans leurs gestes lourds
de longs filets baveux ;
malgré les pierres sèches
qu’on jette sous leurs pieds,
ils restent soudés au sol
et quand enfin
vient leur temps de repos,
il faut les tirer de ce piège
avec des branches
comme qui serait tombé
dans les sables
mouvants.
Et il faut les plonger
dans des baquets
d’eau fumante
avant qu’ils ne durcissent
et se figent
comme des figurines
de verre fondu.


Et là où d’autres
s’interrogeraient
sur le sens,
sur le bien-fondé
de cette débauche
d’énergie humaine,
ici, et des deux bords,
on chahute
on rigole
on prend ça à la farce,
et les peuples,
dévoyés dans l’acte criminel,
redoublent d’enthousiasme
et hurlent
et rient
et chantent encore
et chantent toujours
et reprennent la cognée
et s’acharnent,
ivres
aveugles,
à mettre à terre
un colosse innocent
et tranquille
pour la gloire immortelle
de deux bipèdes parés de plumes
de cacatoès.









dessin d.m.








Et l’on cogne
et l’on creuse
et l’on s’englue
et l’on cogne
et l’on creuse
et l’on s’approche
inexorablement
de l’instant décisif
où Dieu dira.


Entre les deux équipes
à l’ouvrage
l’épaisseur du bois
se réduit
et l’on entend vibrer
désormais
les coups portés
par ceux d’en face.


Il faut se hâter
aller plus vite encore
aller plus vite qu’eux,
gagner plus de terrain.


Les peuples fanatisés
par la perspective
de vaincre
s’époumonent
en rythmes fous,
les prélats hirsutes
bénissent à tour de bras ;
les rois,
les yeux exorbités,
haranguent leurs manants,
ordonnent au géant
de se coucher à leurs pieds
et somment Dieu
de les désigner enfin.


« Qu’il y ait un vainqueur : Moi
qu’il y ait un vaincu : l’Autre !
À quoi me sert ma main
si elle ne tient le monde ? ».





« Des hommes sont venus » Texte déposé à SACD/SCALA

av 20 suit

21.10.06

l'heure de gloire (2)


dessin d.m.




Revenus des vapeurs
avinées de la nuit,
des bouffées orgueilleuses
sourdant du nom des peuples,
réveillés brusquement
aux premiers cris
des lames bleues de l’acier
dans la chair du bois,
des cœurs se sont serrés,
des cœurs ont bafouillé,
se sont alarmés,
regardés en face.


« Pourquoi s’en prendre
à cet être miraculeux ?
De quoi est-il coupable
qu’il faille l’abattre
si précipitamment ?


Que gagnerons-nous
à sa disparition
sinon quelques stères
d’un bois trop dur
pour le pouvoir brûler,
sinon quelques faciles
proies mortes
écrasées dans sa chute ?
Et ensuite, sans lui,
que sera notre monde ?


Lui qui brise le vent
et retient la tempête
de ses pattes griffues,
lui qui attire
de tous les horizons
des poètes
des chanteurs
des sages,
lui qui puise
au centre de la Terre
les forces qu’il nous prodigue,
lui qui nourrit
dans ses aires
les plus beaux oiseaux,
les plus soyeuses lignées
de bêtes poétiques,
lui
lui
lui,
en quoi
va nous servir
sa mort ? ».





dessin d.m.






Et puis des femmes
se rappellent
les cris de bonheur
qu’elles ont poussés à l’ombre
des heures sereines
couvant entre leurs cuisses
le bâton chaud et dur
de leur homme,
elles se rappellent,
secrètes et murmurées,
les prières tissées
sur la peau du géant,
les appels confiants
à l’amour
et la fécondité.
Combien d’entre elles
ont vu fleurir leur vie
entre ses racines ?
Peuvent-elles oublier ?


Des hommes aussi
savent devoir leur destin
au flux sacré de l’arbre.
Rejetés,
fragiles
impuissants
mal-aimés
moqués
battus
maudits parfois,
n’ont-ils pas ressenti
à son contact
de roc inébranlable,
à sa sérénité millénaire
d’être indestructible,
des imprégnations
de tiédeurs consolatrices,
des bourgeonnements
d’impulsions constructives,
des tressaillements
de fierté,
d’orgueil ?
N’ont-ils pas décidé,
sous sa douce présence
nocturne,
d’implanter
un village nouveau
à l’abri vert des branches,
d’ensemencer des femmes
maternelles
et des terres grasses,
d’y faire croître
des arbres fruitiers
et des enfants rieurs ?


Des enfants,
des enfants justement,
des petits et des grands,
s’étonnent
et s’émeuvent
qu’on veuille mettre à terre
sans raison
sur un coup de querelle
sénile
stérile
cet univers
munificent où,
débordant de rires, de cris,
éclatant de plaisir
de bonheur
de santé,
ils passent leur temps à jouer
à fouiner,
à découvrir la vie,
les bobos aux genoux,
les regards qui tuent
les regards qui embrasent
les premiers baisers
les premières blessures.


Une fois le géant
couché au sol
desséché
rongé par les termites
et par la pourriture,
une fois évanoui
dans la forge des rayons
cinglants
du soleil,
le monde piaillant
des oiseaux arc-en-ciel
et crieurs,
des boules de poils
espiègles,
une fois la place rendue
à l’empire hérissé
des buissons épineux
et des bosquets squelettiques,
où s’abreuveront
les rêves des enfants
et l’avenir des hommes ?









dessin d.m.






Ils sont quelques dizaines
des femmes
des hommes
des gamins
des presque-hommes
des presque-femmes
dans le peuple blanc
et dans le peuple rouge,
agglutinés
gesticulant autour des braseros
à s’enflammer
de révolte
de colère
d’indignation.
Laissera t-on
commettre l’infamie ?
Serions-nous encore humains
à voir mourir un monde,
à faire mourir un monde ?


Et puisqu’on est des hommes,
qu’on le sait,
que cela est indéniable,
qu’on ne peut nous nier
le droit
à cette humanitude,
on doit se lever
on a le devoir
de se dresser
de hurler à la mort,
de dénoncer le crime.


On doit leur dire
aux autres
à la multitude,
il faut qu’ils entendent,
qu’ils arrêtent
le massacre.


Par groupes,
par tout le camp,
des troupes hurlantes
des femmes supportrices
aux meutes provocatrices
des hommes ivres,
des touilleuses de vin chaud
aux cercles rapprochés
des édiles,
des moins que rien
vociférants
aux prélats compassés,
ils se sont approchés
de tous ceux-là,
leur ont montré
de leurs mots
et de leurs larmes
l’incongruité
de l’acte irréfléchi,
la monstruosité
de l’attentat,
la tragique mise en cause
de la survie
du monde.


Et leurs mots
se sont brisés
sur des murs de rires
et de moqueries
et leurs larmes
se sont lyophilisées
aux braises
des certitudes martiales
et on les a renvoyés
à leur ignorance
de la grandeur de l’homme
et de la splendide évidence
de son destin.


Et comme ces utopistes,
ces poètes non-officiels
et dégénérés,
ces démobilisateurs
d’énergies nationales
et patriotiques,
ces épandeurs
de désespoir,
ces négationnistes
de la divine volonté
refusaient de se taire,
de fermer les yeux
et le cœur,
de cautionner
la folie collective
et d’apporter leur aide
à l’hérétique arbitrage
entre les peuples,
comme le poison
de leurs mots
risquait fort de miner
la pieuse vigueur
des bûcherons
de la cause sainte,
comme il n’est jamais bon
de laisser la parole
aux simples gens
que Dieu a voulus
bras et jambes
et force
et labeur,
comme on n’avait pas
de temps à perdre
en parloteries
en joutes oratoires
en échanges d’arguties
en négociations
en conciliations,
on fit vite
et rude.










dessin d.m.





Dans les deux camps
chez les blancs
et les rouges,
comme on ferait partout
en tous pays
de toutes les couleurs
quand on a d’autres urgences
que celle de la sagesse,
on s’indigna
on jugea
on excommunia
on éventra des femmes
et l’on pendit des hommes.


Le feu crépitant
des brindilles
s’éteignit sous le coup.


Les rois ont du mérite
a conduire aux sommets
de pareils troupeaux !




« Des hommes sont venus » Texte déposé à SACD/SCALA

av 19 suit

18.10.06

l'heure de gloire (1)

illustration d.m.




On attaque.

C’est effrayant.

Jusque-là
la présence
de la foule des hommes
c’était du bruit
des cris, des appels,
des hurlements
des vociférations
des chants
des rythmes
des danses
des échos
des résonances
des va-et-vient
scandés de groupes avinés
des rires déchirants
et puis des volutes
de fumées acres
épaisses
épicées
viandardes,
des combustions de chair
de plumes
de tripes.


Là, c’est différent
c’est pire.


Bien sûr
le bruit
les cris
les vociférations
les chants
les hurlements
mais surtout
voilà les secousses
les grattements
les cisaillements
les chocs
les déchirements
les longs frissons
de la morsure métallique
qui se répercutent
amplifiés
de fibre en fibre
des racines au faîte
transformant l’énorme
masse ligneuse
en une insoutenable
et douloureuse
vibration.


Tout être tapi
dans un creux
sombre des branches,
au chaud d’un nid,
se sent lui-même
cisaillé
choqué
déchiré
mordu
écorché.


Toute cette vie est unie
dans le calvaire
et dans la peur.


On sent
qu’il n’y a plus d’abris
plus de repos,
qu’une agression folle
incompréhensible
est en train
de courber le monde
et va l’écrabouiller.







illustration d.m.





Il faut dire qu’en bas,
à hauteur d’homme
la besogne se déroule,
volontaire.


Le cercle de craie blanche
peint autour du tronc
a fait place nettement
à une saignée visqueuse
de sève chaude.
De minute en minute,
à l’impact des aciers,
les copeaux épais volent
et tombent à terre.
Des ahanements de rage
et d’effort ponctuent
chaque arrachement.


Dans le camp blanc,
le travail, laissé
à la hardiesse
et à la fougue
de chacun,
avance dans une furie
débonnaire et festive.
On ne compte plus
les coupures
les foulures
les coups intempestifs
les blessures graves
les amputations
involontaires
les doigts envolés
en même temps que l’écorce,
c’est cette fougue libérée
qui donnera
la victoire.
Peut-on en douter ?
Qui pleurerait ses doigts,
sa main,
quand on aura
engrangé encore
une part du monde,
quand son roi posera,
impérial,
son pied sur la dépouille
du lion terrassé ?


Les femmes sont là,
chantant
priant
hurlant,
qui encouragent
et soignent
et recousent
et abreuvent
les cogneurs
les besogneurs
qui leur offrent en trophées
en talismans
en offrandes copulatoires
des copeaux blonds et fauves
fumants encore
de vie arrachée.


Des tonneaux sont percés
et, dégoulinants de sueur,
les bûcherons,
hagards et fiévreux,
se refont la santé
de longues rasades
de vin frais.


Le rythme soutenu
et solennel
des hommes en rouge
ne le cède en rien
pour l’efficacité.
Les pelotons de dix,
se succédant en cadence
systématiquement
régulièrement
métronomiquement,
grignotent sans à-coup,
méthodiquement,
leur moitié du tronc.


Ici, pas de hurlements
pas de beuglements avinés
pas de prières hystériques,
les encouragements
viennent des chants
patriotiques
maîtrisés
mesurés
surveillés.
Pas d’accidents non plus,
ou techniques alors,
comme cette hache
qui s’est brisée
sans crier gare,
arrachant l’œil de l’homme,
ou ce cœur
pourtant jeune et fier,
qui a lâché.
Tout n’est pas parfait encore
mais ça viendra
puisqu’on fait tout
pour ça,
dont ce combat à gagner,
tout d’abord.
Sillon net
sillon scientifique
sillon régulier,
dans cet arbre
monumental, certes,
mais qui n’est après tout
qu’une masse métrique
et qui sera scindée
de par la science
et par la force
des hommes .


De ce côté-ci, bien sûr,
les copeaux tombent aussi,
gras
larges
sèveux,
mais ils ne s’égarent pas
pour quelque convoitise
particulière,
ils deviendront récompenses,
remises plus tard, aux vertueux,
et signés de la main même
du roi.
Du Roi des rois
puisqu’on aura vaincu.








illustration d.m.




Les heures passent.
Le cercle vif
s’approfondit
au cœur du bois
mais ce n’est encore
qu’une éraflure
au flan du mastodonte.


Peut-être
n’est-il pas trop tard ?


Et si l’on arrêtait la folie ?






« Des hommes sont venus »texte déposé à SACD/SCALA

av 18 suit

16.10.06

génèse d'un crime (6)

dessin d.m.




Soulagement
de toute part.


On se mesurera demain
au lever du soleil,
on n’a plus qu’à prier
dormir
rêver.


Des ordres sont donnés :
que chacun se repose,
qu’on veille à ce que
chacun reste dans son camp.
Se méfie t-on
jamais assez
des ruses démoniaques
de l’ennemi ?


Profitant des dernières braises,
on murmure
on commente
on échafaude
on anticipe
on extrapole
on rêve debout
on se motive
on s’encourage
on se bénit
et puis l’on s’endort
et l’on rêve encore.


Depuis l’aube de la veille,
à l’heure
où la rumeur sourde
a éraillé les sommeils
tranquilles,
on n’a plus bougé,
presque plus respiré,
dans le monde
de l’arbre.


On a assisté,
blotti aux creux des branches
et du fond des nids,
à l’étalement
de la marée bipède.
Les cœurs
se sont emballés
la trouille a gagné toute chair
toute molécule de vivant.
On s’est senti coincé, piégé.
Quelques oiseaux ont choisi
l’exil
mais les flèches des hommes
sont venues les cueillir
dans leur vol éperdu.
Combien
des plus beaux
ont vu leurs plumes
offertes en parement
à la femme
d’un soir ?


L’infini troupeau
des hommes se couche.
Mais ça ronfle
mais ça remue
mais ça piaille
mais ça se lève pour vomir
pisser
ça jette
quelques branches mortes
au feu,
réveillant par endroits
des lueurs inquiétantes.


On ne dort pas
dans le monde de l’arbre,
on se resserre davantage,
on craint
on frissonne
on veille.











dessin d.m.






Quelle atmosphère
lourde
au lever du soleil.
Cela ressemble plus
à une aube de bataille
qu’à une journée
d’amical tournoi.


Bien qu’on eût échappé
à un bain de sang,
à une étripade générale,
tout le monde sentait
dans cette masse d’éleveurs
et de guerriers,
parmi ces femmes angoissées
et ces groupes d’enfants
qu’on faisait taire,
que les temps insoucieux
s’étaient figés,
coincés dans une impasse
de l’histoire des hommes
et qu’on n’en sortirait
que par des actes
irrémédiables.


On se nourrit
frugalement
de quelques fruits secs,
d’un peu de lait.
On attendit
dans une rumeur poisseuse.


Cela ne dura pas.
Chaque roi
chaque peuple tablait
sur ses spécialistes
en organisation.


Tout d’abord
on balisa le terrain :
une ligne nette
de poudre de pierre blanche
coupa le camp en deux,
prolongeant
d’orient en occident
le diamètre de l’arbre;
un cercle de cette poudre
mélangée d’eau,
fut dessiné
tout autour du tronc
à hauteur d’épaule.
C’est là que devraient s’abattre
les coups de hache.


Quand tout cela fut achevé,
que chaque peuple
put s’enquérir
des limites de son camp,
les deux majestés
bruyamment accompagnées
de leur cour
et de leurs chefs de guerre
vinrent inspecter
le dispositif,
voir un peu
s’il ne s’était pas
glissé quelque erreur
volontaire ou non
propre à interférer
sur le choix du destin.


On fit le tour de l’arbre.
Cela semblait en ordre.
Déclaré conforme
d’un signe approbatif
des deux chefs,
le site de l’exploit
fut soumis aux rituels
de bénédiction
et sanctification.


Les sorciers et prélats
des deux camps,
implorant les grâces
des mêmes forces cosmiques
inondèrent
d’eaux sacrées
et de fumeroles
exorcistes
les racines du géant,
les étendards royaux,
les chefs de bataillons
et la foultitude
des peuples.
Il n’y avait plus qu’à…







dessin d.m.




On se donna une heure de battement pour mettre en place le travail d’équipe. Tous les hommes étaient mobilisés, ils étaient tant et tant qu’aucun n’aurait à s’épuiser. Il suffisait que chacun fût prêt quand viendrait son tour. On avait décidé que chaque camp serait maître de sa méthode d’abattage. Tout était permis pour attaquer le cœur du bois sauf la force animale et l’emploi du feu. Cette restriction n’empêcha pas que chaque peuple s’y prit de façon vraiment différente, selon ses coutumes, sa philosophie, son mode d’organisation.
Chez les blancs, on opta comme d’habitude pour la simplicité. Tous étaient armés, qui d’une hache, qui d’une hachette, qui d’une machette, qui d’une scie, qui d’une varlope, qui de son coutelas. On lâcherait un premier groupe de vingt hommes costauds qui s’acharneraient à la tâche jusqu’à n’en plus pouvoir. Celui qui faiblirait ou aurait brisé son outil dans l’effort laisserait sa place à un autre qui aurait su s’imposer dans la file d’attente. On avait toujours fait ainsi et l’on avait bouffé plus de la moitié du monde. Pas de manières, pas de chichis, pas de tactiques, on cogne, et ça tombe.

Dans le camp rouge, il y avait longtemps qu’on avait civilisé le travail des hommes, que la science et la méthode avaient supplanté l’empirisme et la sauvagerie des temps anciens. On avait des plans, des rythmes, des contremaîtres, des exécuteurs, des outils adaptés, des objectifs clairs, des ratios. Ainsi avait-il été défini que dix hommes segmentant le demi-tour du tronc en dix longueurs égales donneraient chacun cent coups de hache au rythme des tambours, que le peuple réuni autour de ses héros scanderait, pour les soutenir, des chansons populaires entonnées professionnellement par les choristes personnels du roi. Les relais seraient pris sans retard ni précipitation avec passation de l’outil et poignée solidaire de mains.

Les deux peuples sont prêts,
on attend le signal,
le voilà.
On a retrouvé
le petit garçon
qui voulait tuer l’arbre.
Paré de plumes
bleues et jaunes
on le place
sur une petite estrade
face au géant de bois.
Il tient entre ses mains
un petit arc
et une flèche bariolée.
Tendant l’arme
de toutes
ses petites forces
de futur chasseur
de fauves
il crie :


-« Tiens, méchant
tu vas mourir ! »

et lâche son coup.
La flèche zigzague
jusqu’à l’arbre
et le touche.
On retire prestement
et l’enfant et l’estrade,
une immense clameur
vrille l’air.


Ca y est !




« Des hommes sont venus » extrait 17 Texte déposé à SACD/SCALA



av 17 suit

9.10.06

génèse d'un crime (5)

dessin d.m.




Un geste
un mot,
le monde brûle,
on se dépèce sur pieds.


Mais ceux-ci ne viennent pas,
Le temps n’est pas venu
de lâcher la bonde
et du sang
et du crime.


Il s’agit
pour les rois
de montrer sa force
sa puissance
sa supériorité.


Ce pourquoi chacun d’eux
veut gagner,
ce sur quoi chacun d’eux
veut régner,
c’est l’entièreté
de ces tribus humaines
la totalité
de ces terres grasses
de ces troupeaux
dodus.
Chacun d’eux rêve
de dominer
un empire riche
opulent
prospère,
pas une terre de charniers
désertée des hommes
où même la pire
des ronces folles
n’oserait arrimer
ses griffes.


Enfin, pas encore.

Bien sûr,
s’il fallait en arriver là…








dessin d.m.




Trouver une idée
de duel,
le bras de fer
n’était pas digne d’eux,
ni l’un
ni l’autre
ne pouvait perdre
à ce jeu-là.
Autre défi
autre challenge
un acte hors du commun,
où l’on ne s’affronte plus
d’homme à homme
même si ces hommes
furent nourris
aux nénés de Junon,
mais peuple à peuple,
force d’un peuple
contre force d’un peuple,
sportivement,
et il faudra bien
que l’un d’eux s’incline
à la fin
et se soumette,
tête baissée,
à l’autorité
du chef unique
désigné par l’heureuse
issue du jeu.


On cherchait
on cogitait,
ça urgeait
avant que tout dégénérât
dans un immaîtrisable chaos.


C’est d’un enfant,
trois ans à peine,
innocent,
parce qu’il voulait
jouer au grand,
que surgit la folie.
Ahuri de fatigue,
n’ayant pas pu dormir,
échappé à sa mère
qui s’époumonait, hurlante,
au cœur de la meute,
le voilà,
tout petit,
minuscule,
se faufilant dans l’océan
des piétinements rageurs,
le voilà, invisible,
inaperçu,
qui franchit sans entrave
le cercle magique
des torches qui enclot
depuis des heures
le monde de l’arbre.
Le voilà,
lui, le petit homme,
se rêvant peut-être
lui aussi,
prématurément,
à la tête
du troupeau des bipèdes,
qui lève son petit poing
de chair laiteuse
et crapote des menaces
à l’endroit du géant :
-« Je suis plus fort que toi
je te tuerai, j’ai pas peur
j’ai pas peur ! ».


Dieu venait de parler
par la bouche
de l’enfant :
l’arbre à terre
désignerait
vainqueur
le peuple
qui l’aurait terrassé.
On arracha l’enfant,
redevenu fétu de paille,
du cercle interdit,
il se retrouva
pissant et pleurant
dans les bras
de sa mère
qui ne savait
si elle devait,
pour son intervention
révélatrice,
le battre
ou le chérir.






dessin d.m.




« La vérité sort toujours
de la bouche des enfants ! »


Comment
n’y avait-on pas songé ?
Bien sûr,
de toute éternité,
l’arbre gigantesque
béni de Dieu
attendait que le peuple choisi
vint le mettre à terre.
Là était son destin
son honneur
sa gloire.
Mourir en désignant
la race élue,
nommer, dans un crissement
d’agonie
celui, de tous les humains,
que Dieu voulait
pour Roi des Rois !


Le principe, limpide,
fut admis de tous.
Ou presque.


La règle du jeu
simplissime :
La clairière
immense et nue
se scinde en deux camps.


La frontière,
ligne droite
entre le point de lever
et le point de coucher
du soleil,
traverse l’arbre
en son diamètre.
Chaque peuple,
de son côté,
dans son camp,
attaquera le géant,
l’entamera
de l’acier de ses lames
le mordra au cœur
de sa chair de bois
jusqu’à ce que, fragilisé,
éventré
étripé,
il penche
et s’affaisse
du côté des vainqueurs.




« Des hommes sont venus »
extrait 16 Texte déposé à SACD/SCALA





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