21.10.06

l'heure de gloire (2)


dessin d.m.




Revenus des vapeurs
avinées de la nuit,
des bouffées orgueilleuses
sourdant du nom des peuples,
réveillés brusquement
aux premiers cris
des lames bleues de l’acier
dans la chair du bois,
des cœurs se sont serrés,
des cœurs ont bafouillé,
se sont alarmés,
regardés en face.


« Pourquoi s’en prendre
à cet être miraculeux ?
De quoi est-il coupable
qu’il faille l’abattre
si précipitamment ?


Que gagnerons-nous
à sa disparition
sinon quelques stères
d’un bois trop dur
pour le pouvoir brûler,
sinon quelques faciles
proies mortes
écrasées dans sa chute ?
Et ensuite, sans lui,
que sera notre monde ?


Lui qui brise le vent
et retient la tempête
de ses pattes griffues,
lui qui attire
de tous les horizons
des poètes
des chanteurs
des sages,
lui qui puise
au centre de la Terre
les forces qu’il nous prodigue,
lui qui nourrit
dans ses aires
les plus beaux oiseaux,
les plus soyeuses lignées
de bêtes poétiques,
lui
lui
lui,
en quoi
va nous servir
sa mort ? ».





dessin d.m.






Et puis des femmes
se rappellent
les cris de bonheur
qu’elles ont poussés à l’ombre
des heures sereines
couvant entre leurs cuisses
le bâton chaud et dur
de leur homme,
elles se rappellent,
secrètes et murmurées,
les prières tissées
sur la peau du géant,
les appels confiants
à l’amour
et la fécondité.
Combien d’entre elles
ont vu fleurir leur vie
entre ses racines ?
Peuvent-elles oublier ?


Des hommes aussi
savent devoir leur destin
au flux sacré de l’arbre.
Rejetés,
fragiles
impuissants
mal-aimés
moqués
battus
maudits parfois,
n’ont-ils pas ressenti
à son contact
de roc inébranlable,
à sa sérénité millénaire
d’être indestructible,
des imprégnations
de tiédeurs consolatrices,
des bourgeonnements
d’impulsions constructives,
des tressaillements
de fierté,
d’orgueil ?
N’ont-ils pas décidé,
sous sa douce présence
nocturne,
d’implanter
un village nouveau
à l’abri vert des branches,
d’ensemencer des femmes
maternelles
et des terres grasses,
d’y faire croître
des arbres fruitiers
et des enfants rieurs ?


Des enfants,
des enfants justement,
des petits et des grands,
s’étonnent
et s’émeuvent
qu’on veuille mettre à terre
sans raison
sur un coup de querelle
sénile
stérile
cet univers
munificent où,
débordant de rires, de cris,
éclatant de plaisir
de bonheur
de santé,
ils passent leur temps à jouer
à fouiner,
à découvrir la vie,
les bobos aux genoux,
les regards qui tuent
les regards qui embrasent
les premiers baisers
les premières blessures.


Une fois le géant
couché au sol
desséché
rongé par les termites
et par la pourriture,
une fois évanoui
dans la forge des rayons
cinglants
du soleil,
le monde piaillant
des oiseaux arc-en-ciel
et crieurs,
des boules de poils
espiègles,
une fois la place rendue
à l’empire hérissé
des buissons épineux
et des bosquets squelettiques,
où s’abreuveront
les rêves des enfants
et l’avenir des hommes ?









dessin d.m.






Ils sont quelques dizaines
des femmes
des hommes
des gamins
des presque-hommes
des presque-femmes
dans le peuple blanc
et dans le peuple rouge,
agglutinés
gesticulant autour des braseros
à s’enflammer
de révolte
de colère
d’indignation.
Laissera t-on
commettre l’infamie ?
Serions-nous encore humains
à voir mourir un monde,
à faire mourir un monde ?


Et puisqu’on est des hommes,
qu’on le sait,
que cela est indéniable,
qu’on ne peut nous nier
le droit
à cette humanitude,
on doit se lever
on a le devoir
de se dresser
de hurler à la mort,
de dénoncer le crime.


On doit leur dire
aux autres
à la multitude,
il faut qu’ils entendent,
qu’ils arrêtent
le massacre.


Par groupes,
par tout le camp,
des troupes hurlantes
des femmes supportrices
aux meutes provocatrices
des hommes ivres,
des touilleuses de vin chaud
aux cercles rapprochés
des édiles,
des moins que rien
vociférants
aux prélats compassés,
ils se sont approchés
de tous ceux-là,
leur ont montré
de leurs mots
et de leurs larmes
l’incongruité
de l’acte irréfléchi,
la monstruosité
de l’attentat,
la tragique mise en cause
de la survie
du monde.


Et leurs mots
se sont brisés
sur des murs de rires
et de moqueries
et leurs larmes
se sont lyophilisées
aux braises
des certitudes martiales
et on les a renvoyés
à leur ignorance
de la grandeur de l’homme
et de la splendide évidence
de son destin.


Et comme ces utopistes,
ces poètes non-officiels
et dégénérés,
ces démobilisateurs
d’énergies nationales
et patriotiques,
ces épandeurs
de désespoir,
ces négationnistes
de la divine volonté
refusaient de se taire,
de fermer les yeux
et le cœur,
de cautionner
la folie collective
et d’apporter leur aide
à l’hérétique arbitrage
entre les peuples,
comme le poison
de leurs mots
risquait fort de miner
la pieuse vigueur
des bûcherons
de la cause sainte,
comme il n’est jamais bon
de laisser la parole
aux simples gens
que Dieu a voulus
bras et jambes
et force
et labeur,
comme on n’avait pas
de temps à perdre
en parloteries
en joutes oratoires
en échanges d’arguties
en négociations
en conciliations,
on fit vite
et rude.










dessin d.m.





Dans les deux camps
chez les blancs
et les rouges,
comme on ferait partout
en tous pays
de toutes les couleurs
quand on a d’autres urgences
que celle de la sagesse,
on s’indigna
on jugea
on excommunia
on éventra des femmes
et l’on pendit des hommes.


Le feu crépitant
des brindilles
s’éteignit sous le coup.


Les rois ont du mérite
a conduire aux sommets
de pareils troupeaux !




« Des hommes sont venus » Texte déposé à SACD/SCALA

av 19 suit

5 commentaires:

Anonyme a dit…

Et bien voilà, peut-être serais- je morte à l' heure qu' il est mais d' avoir inscrit mon opposition au post précédent m' a redonné le goût de vivre ... parce que de là haut, de la faîte de l' arbre, je persiste à chanter la paix ... Connerie de guerre et de manipulations d' hommes ... Ils ont cru tuer la voix de ces utopistes,
ces poètes non-officiels
et dégénérés,
ces démobilisateurs
d’énergies nationales
et patriotiques,
ces épandeurs
de désespoir,
ces négationnistes
de la divine volonté
mais il est trop tard, le germe est planté, il germera tôt ou tard ...
Ma colère est de tempête et mon horreur d' orage ... Je ne veux pas tuer, juste innonder de honte et de remords ces assassins ...
Les rois auraient bien du mérite
a donner à ces hommes le droit d' être des hommes !

Anonyme a dit…

Ma Kaïkan, ta colère est flamme dans le désert, ton chant de Paix, cri de ralliement dans la nuit sans lune. Encore une fois, excuse-moi de vous imposer cette épouvantable vision du monde des hommes. Si je ne disais pas, il ne me resterait que la honte et la corde.
Les germes plantés de chacun feront la forêt majestueuse et conviviale de demain. Avec toi, j'en suis sûr.

Anonyme a dit…

Je chante à tue-tête, Hombre ...
Le temps n' est plus linéaire, il est de superposition et d' expansion...;-)
Continue donc de t' exprimer ...
Au moins nous servirons-nous de la corde pour sauter comme des enfants à l' heure des récréations ...

Anonyme a dit…

des enfants fruitiers :-)
ils s'appellent Prune et Mirabelle, Cerise, Coing, ou Coco, Avocat du bonheur!
ils ont des graines dans les yeux, plein de feuilles sur la tête, un duvet de soleil sur les joues, des pépins lorsqu'ils tombent sur les genoux, une peau colorée de lumière et un coeur gros comme une tomate gorgée de soleil même en plein hiver...
parce que le monde des adultes légumes, c'est l'hiver... long et froid, impassible sous la terre... quand en viendront-ils à s'arracher à une torpeur qui dure à n'en plus finir... quand viendra la saison du renouveau des couleurs, des chairs croquantes dans leur jus?!...
moi j'ai envie de me mettre à table, mais pas de bouffer un arbre! ;-)

Anonyme a dit…

Ca, Kaïkan, le "Temps", s'il éxiste, est peut-être plus complexe que ce que notre entendement peut saisir. Je sais déjà qu'il n'est pas le même pour tous, et aussi qu'il est si différent pour moi selon l'emploi que j'en fais... Mais du petit espace-temps où je suis épinglé, tout parait si vertigineux et si inatteignable... Bonnes recherches à toi !

Dis-donc, Camille, ça sentirait pas un peu les confitures, du côté de chez toi?
Pour ce qui est de "bouffer" les arbres, à part les bûches de Noël, la xylophagie n'est pas à mon menu non plus. N'empêche que les forêts fondent à vue d'oeil et ce qui vit dedans avec. Alors, je vais continuer à écrire mes horreurs.
Merci, Camille, pour ton soutien fraternel.