26.10.06

l'heure de gloire (3)

dessin d.m.






La lutte tronçonneuse, peut-être stimulée par cet essai infructueux de démoralisation, se poursuit de plus belle sous les « vivat » populaires. Malgré l’éthylisation générale de ses découpeurs, malgré l’hécatombe de mains, de doigts, de visages éclatés, le camp blanc rogne à rage que-veux-tu dans le gras de l’arbre. Du côté rouge, on ne se désunit pas dans le rythme ni dans la volonté de maîtriser le monde, mais les haches s’émoussent, se dentellisent, des meules se sont égarées, on en cherche d’autres et l’on a pendu, pour l’exemple, le responsable de l’intendance. Ça donne à réfléchir aux autres qui redoublent de fierté, de puissance, de méchanceté, de discipline, de bêtise.

En dépit des incidents
des maladresses
des imprévisions,
de l’énormité de la tâche,
de la dureté même
du bois qui use
les lames et les hommes,
des deux côtés
le travail avance,
des deux côtés
l’arbre est profondément entamé,
il y a longtemps
qu’ont été épluchées
les couches protectrices,
la saignée s’enfonce loin
dans la matière vive.










dessin d.m.






Pour pénétrer
davantage dans la masse
il a fallu élargir tout ça,
en haut, en bas,
on se tient désormais,
pour poursuivre la manœuvre,
à l’intérieur même
de la blessure ;
cela rend le labeur
harassant,
on est courbé pour hacher
encore et encore,
plus loin, plus profond ;
le monstre ligneux
se vide en longs sanglots
de sève épaisse, gluante,
les hommes en sont enduits
de la tête aux pieds,
ils poissent
ils collent,
ils tressent
dans leurs gestes lourds
de longs filets baveux ;
malgré les pierres sèches
qu’on jette sous leurs pieds,
ils restent soudés au sol
et quand enfin
vient leur temps de repos,
il faut les tirer de ce piège
avec des branches
comme qui serait tombé
dans les sables
mouvants.
Et il faut les plonger
dans des baquets
d’eau fumante
avant qu’ils ne durcissent
et se figent
comme des figurines
de verre fondu.


Et là où d’autres
s’interrogeraient
sur le sens,
sur le bien-fondé
de cette débauche
d’énergie humaine,
ici, et des deux bords,
on chahute
on rigole
on prend ça à la farce,
et les peuples,
dévoyés dans l’acte criminel,
redoublent d’enthousiasme
et hurlent
et rient
et chantent encore
et chantent toujours
et reprennent la cognée
et s’acharnent,
ivres
aveugles,
à mettre à terre
un colosse innocent
et tranquille
pour la gloire immortelle
de deux bipèdes parés de plumes
de cacatoès.









dessin d.m.








Et l’on cogne
et l’on creuse
et l’on s’englue
et l’on cogne
et l’on creuse
et l’on s’approche
inexorablement
de l’instant décisif
où Dieu dira.


Entre les deux équipes
à l’ouvrage
l’épaisseur du bois
se réduit
et l’on entend vibrer
désormais
les coups portés
par ceux d’en face.


Il faut se hâter
aller plus vite encore
aller plus vite qu’eux,
gagner plus de terrain.


Les peuples fanatisés
par la perspective
de vaincre
s’époumonent
en rythmes fous,
les prélats hirsutes
bénissent à tour de bras ;
les rois,
les yeux exorbités,
haranguent leurs manants,
ordonnent au géant
de se coucher à leurs pieds
et somment Dieu
de les désigner enfin.


« Qu’il y ait un vainqueur : Moi
qu’il y ait un vaincu : l’Autre !
À quoi me sert ma main
si elle ne tient le monde ? ».





« Des hommes sont venus » Texte déposé à SACD/SCALA

av 20 suit

2 commentaires:

Anonyme a dit…

Qu' il est dur de chanter face à le folie meurtrière ...
Et pourtant, je reprends mon souffle là, tout en haut où l' air est encore pur ...
Je persiste cependant, puisant du fond de mes entrailles le sursaut de l' espoir ...
Surtout ne pas me taire et tenr le coup, chanter encore et encore sinon le corde risque d' être pour moi ...

Anonyme a dit…

Je te sers très fort das mes bras, Kaïkan, et mon oreille collée sur ton dos, j'écoute passionnément, profondément, tes chants d'espoir et de mondes en coeur massif. Et dieu sait si ça m'aide à continuer aussi. Mais j' assumerai mon devoir d'homme jusqu'au bout: mon triste conte se déroulera à son terme. Ne serait-ce qu'en hommage à ceux qui se battent pour sauver ce qui peut l'être encore.
Je viens ce soir encore de relire l'intégralité du texte et des commentaires échangés. Je suis bien placé pour savoir ce que cela peut provoquer de douleur. Mais aussi d'envie de faire mentir les prévisions, les oracles. Que tes chants soient repris en choeur et le Soleil lui-même, à son prochain lever, ne reconnaitrait plus son Monde !!!
Chaleureusement à Toi, Kaïkan.