18.10.06

l'heure de gloire (1)

illustration d.m.




On attaque.

C’est effrayant.

Jusque-là
la présence
de la foule des hommes
c’était du bruit
des cris, des appels,
des hurlements
des vociférations
des chants
des rythmes
des danses
des échos
des résonances
des va-et-vient
scandés de groupes avinés
des rires déchirants
et puis des volutes
de fumées acres
épaisses
épicées
viandardes,
des combustions de chair
de plumes
de tripes.


Là, c’est différent
c’est pire.


Bien sûr
le bruit
les cris
les vociférations
les chants
les hurlements
mais surtout
voilà les secousses
les grattements
les cisaillements
les chocs
les déchirements
les longs frissons
de la morsure métallique
qui se répercutent
amplifiés
de fibre en fibre
des racines au faîte
transformant l’énorme
masse ligneuse
en une insoutenable
et douloureuse
vibration.


Tout être tapi
dans un creux
sombre des branches,
au chaud d’un nid,
se sent lui-même
cisaillé
choqué
déchiré
mordu
écorché.


Toute cette vie est unie
dans le calvaire
et dans la peur.


On sent
qu’il n’y a plus d’abris
plus de repos,
qu’une agression folle
incompréhensible
est en train
de courber le monde
et va l’écrabouiller.







illustration d.m.





Il faut dire qu’en bas,
à hauteur d’homme
la besogne se déroule,
volontaire.


Le cercle de craie blanche
peint autour du tronc
a fait place nettement
à une saignée visqueuse
de sève chaude.
De minute en minute,
à l’impact des aciers,
les copeaux épais volent
et tombent à terre.
Des ahanements de rage
et d’effort ponctuent
chaque arrachement.


Dans le camp blanc,
le travail, laissé
à la hardiesse
et à la fougue
de chacun,
avance dans une furie
débonnaire et festive.
On ne compte plus
les coupures
les foulures
les coups intempestifs
les blessures graves
les amputations
involontaires
les doigts envolés
en même temps que l’écorce,
c’est cette fougue libérée
qui donnera
la victoire.
Peut-on en douter ?
Qui pleurerait ses doigts,
sa main,
quand on aura
engrangé encore
une part du monde,
quand son roi posera,
impérial,
son pied sur la dépouille
du lion terrassé ?


Les femmes sont là,
chantant
priant
hurlant,
qui encouragent
et soignent
et recousent
et abreuvent
les cogneurs
les besogneurs
qui leur offrent en trophées
en talismans
en offrandes copulatoires
des copeaux blonds et fauves
fumants encore
de vie arrachée.


Des tonneaux sont percés
et, dégoulinants de sueur,
les bûcherons,
hagards et fiévreux,
se refont la santé
de longues rasades
de vin frais.


Le rythme soutenu
et solennel
des hommes en rouge
ne le cède en rien
pour l’efficacité.
Les pelotons de dix,
se succédant en cadence
systématiquement
régulièrement
métronomiquement,
grignotent sans à-coup,
méthodiquement,
leur moitié du tronc.


Ici, pas de hurlements
pas de beuglements avinés
pas de prières hystériques,
les encouragements
viennent des chants
patriotiques
maîtrisés
mesurés
surveillés.
Pas d’accidents non plus,
ou techniques alors,
comme cette hache
qui s’est brisée
sans crier gare,
arrachant l’œil de l’homme,
ou ce cœur
pourtant jeune et fier,
qui a lâché.
Tout n’est pas parfait encore
mais ça viendra
puisqu’on fait tout
pour ça,
dont ce combat à gagner,
tout d’abord.
Sillon net
sillon scientifique
sillon régulier,
dans cet arbre
monumental, certes,
mais qui n’est après tout
qu’une masse métrique
et qui sera scindée
de par la science
et par la force
des hommes .


De ce côté-ci, bien sûr,
les copeaux tombent aussi,
gras
larges
sèveux,
mais ils ne s’égarent pas
pour quelque convoitise
particulière,
ils deviendront récompenses,
remises plus tard, aux vertueux,
et signés de la main même
du roi.
Du Roi des rois
puisqu’on aura vaincu.








illustration d.m.




Les heures passent.
Le cercle vif
s’approfondit
au cœur du bois
mais ce n’est encore
qu’une éraflure
au flan du mastodonte.


Peut-être
n’est-il pas trop tard ?


Et si l’on arrêtait la folie ?






« Des hommes sont venus »texte déposé à SACD/SCALA

av 18 suit

3 commentaires:

Anonyme a dit…

Oui, hombre si on arrêtait cette folie ? suffit-il d' y croire? De le vouloir fort, encore et encore ? Alors, si j' étais de l' un de ces peuples, aurais- je l' audace de me détacher et de chanter un chant de paix ? Je ne sais, j' ose le croire et le rêver et puisque c' est un conte, je passe du statut de spectateur à celui d' acteur ... Et je me détache et je chante au faîte de l' arbre mon chant de paix, la trouille au ventre à chaque secousse mais le coeur à l' endroit d' y croire encore et encore ... Peut-être d' autres entameront aussi ce chant ...

Anonyme a dit…

Je suis d'accord avec Kaïkan. Et je chante à l'unisson.
Bon WE Hombre de Nada.

Anonyme a dit…

Chères Amies, dans la Balance des avatars du Monde,les élans d'amour pèsent si peu... Mais quelle tonne d'imbécilité submergera un atome de tendresse, dans un "Monde Voulu Autrement" ? C'est juste une question de parti-pris, de nouvelle Conscience Humaine.
Je vous remercie, amies, pour vos (ou votre) chants d'espoir.
Amicalement.