16.10.06

génèse d'un crime (6)

dessin d.m.




Soulagement
de toute part.


On se mesurera demain
au lever du soleil,
on n’a plus qu’à prier
dormir
rêver.


Des ordres sont donnés :
que chacun se repose,
qu’on veille à ce que
chacun reste dans son camp.
Se méfie t-on
jamais assez
des ruses démoniaques
de l’ennemi ?


Profitant des dernières braises,
on murmure
on commente
on échafaude
on anticipe
on extrapole
on rêve debout
on se motive
on s’encourage
on se bénit
et puis l’on s’endort
et l’on rêve encore.


Depuis l’aube de la veille,
à l’heure
où la rumeur sourde
a éraillé les sommeils
tranquilles,
on n’a plus bougé,
presque plus respiré,
dans le monde
de l’arbre.


On a assisté,
blotti aux creux des branches
et du fond des nids,
à l’étalement
de la marée bipède.
Les cœurs
se sont emballés
la trouille a gagné toute chair
toute molécule de vivant.
On s’est senti coincé, piégé.
Quelques oiseaux ont choisi
l’exil
mais les flèches des hommes
sont venues les cueillir
dans leur vol éperdu.
Combien
des plus beaux
ont vu leurs plumes
offertes en parement
à la femme
d’un soir ?


L’infini troupeau
des hommes se couche.
Mais ça ronfle
mais ça remue
mais ça piaille
mais ça se lève pour vomir
pisser
ça jette
quelques branches mortes
au feu,
réveillant par endroits
des lueurs inquiétantes.


On ne dort pas
dans le monde de l’arbre,
on se resserre davantage,
on craint
on frissonne
on veille.











dessin d.m.






Quelle atmosphère
lourde
au lever du soleil.
Cela ressemble plus
à une aube de bataille
qu’à une journée
d’amical tournoi.


Bien qu’on eût échappé
à un bain de sang,
à une étripade générale,
tout le monde sentait
dans cette masse d’éleveurs
et de guerriers,
parmi ces femmes angoissées
et ces groupes d’enfants
qu’on faisait taire,
que les temps insoucieux
s’étaient figés,
coincés dans une impasse
de l’histoire des hommes
et qu’on n’en sortirait
que par des actes
irrémédiables.


On se nourrit
frugalement
de quelques fruits secs,
d’un peu de lait.
On attendit
dans une rumeur poisseuse.


Cela ne dura pas.
Chaque roi
chaque peuple tablait
sur ses spécialistes
en organisation.


Tout d’abord
on balisa le terrain :
une ligne nette
de poudre de pierre blanche
coupa le camp en deux,
prolongeant
d’orient en occident
le diamètre de l’arbre;
un cercle de cette poudre
mélangée d’eau,
fut dessiné
tout autour du tronc
à hauteur d’épaule.
C’est là que devraient s’abattre
les coups de hache.


Quand tout cela fut achevé,
que chaque peuple
put s’enquérir
des limites de son camp,
les deux majestés
bruyamment accompagnées
de leur cour
et de leurs chefs de guerre
vinrent inspecter
le dispositif,
voir un peu
s’il ne s’était pas
glissé quelque erreur
volontaire ou non
propre à interférer
sur le choix du destin.


On fit le tour de l’arbre.
Cela semblait en ordre.
Déclaré conforme
d’un signe approbatif
des deux chefs,
le site de l’exploit
fut soumis aux rituels
de bénédiction
et sanctification.


Les sorciers et prélats
des deux camps,
implorant les grâces
des mêmes forces cosmiques
inondèrent
d’eaux sacrées
et de fumeroles
exorcistes
les racines du géant,
les étendards royaux,
les chefs de bataillons
et la foultitude
des peuples.
Il n’y avait plus qu’à…







dessin d.m.




On se donna une heure de battement pour mettre en place le travail d’équipe. Tous les hommes étaient mobilisés, ils étaient tant et tant qu’aucun n’aurait à s’épuiser. Il suffisait que chacun fût prêt quand viendrait son tour. On avait décidé que chaque camp serait maître de sa méthode d’abattage. Tout était permis pour attaquer le cœur du bois sauf la force animale et l’emploi du feu. Cette restriction n’empêcha pas que chaque peuple s’y prit de façon vraiment différente, selon ses coutumes, sa philosophie, son mode d’organisation.
Chez les blancs, on opta comme d’habitude pour la simplicité. Tous étaient armés, qui d’une hache, qui d’une hachette, qui d’une machette, qui d’une scie, qui d’une varlope, qui de son coutelas. On lâcherait un premier groupe de vingt hommes costauds qui s’acharneraient à la tâche jusqu’à n’en plus pouvoir. Celui qui faiblirait ou aurait brisé son outil dans l’effort laisserait sa place à un autre qui aurait su s’imposer dans la file d’attente. On avait toujours fait ainsi et l’on avait bouffé plus de la moitié du monde. Pas de manières, pas de chichis, pas de tactiques, on cogne, et ça tombe.

Dans le camp rouge, il y avait longtemps qu’on avait civilisé le travail des hommes, que la science et la méthode avaient supplanté l’empirisme et la sauvagerie des temps anciens. On avait des plans, des rythmes, des contremaîtres, des exécuteurs, des outils adaptés, des objectifs clairs, des ratios. Ainsi avait-il été défini que dix hommes segmentant le demi-tour du tronc en dix longueurs égales donneraient chacun cent coups de hache au rythme des tambours, que le peuple réuni autour de ses héros scanderait, pour les soutenir, des chansons populaires entonnées professionnellement par les choristes personnels du roi. Les relais seraient pris sans retard ni précipitation avec passation de l’outil et poignée solidaire de mains.

Les deux peuples sont prêts,
on attend le signal,
le voilà.
On a retrouvé
le petit garçon
qui voulait tuer l’arbre.
Paré de plumes
bleues et jaunes
on le place
sur une petite estrade
face au géant de bois.
Il tient entre ses mains
un petit arc
et une flèche bariolée.
Tendant l’arme
de toutes
ses petites forces
de futur chasseur
de fauves
il crie :


-« Tiens, méchant
tu vas mourir ! »

et lâche son coup.
La flèche zigzague
jusqu’à l’arbre
et le touche.
On retire prestement
et l’enfant et l’estrade,
une immense clameur
vrille l’air.


Ca y est !




« Des hommes sont venus » extrait 17 Texte déposé à SACD/SCALA



av 17 suit

4 commentaires:

Anonyme a dit…

snif! je vais pleurer...

parure du jour:
"Combien
des plus beaux
ont vu leurs plumes
offertes en parement
à la femme
d’un soir ?"

ahhh... j'ai honte de ma race! une main sur le front, l'autre sur le coeur, j'en tremble et je pars, un peu pliée, à l'aune de la nuit, prise de mal-hêtre, me réfugier dans le sous-saule, et me cacher!

Anonyme a dit…

Merci, Camille, pour ta petite énumération poétique qui met un peu d'air frais dans tout ça.
Bien à toi, et à ton sourire "jusqu'aux oreilles"...

Anonyme a dit…

J' ouvre le tiroir et se déploie un triptyque , les rouges, les blancs et au centre l' arbre et sa multitude d' habitants, défié par l' insolence et l' innocence d' un enfant ... Il ne défie d' ailleurs plus le grand roi de la forêt; enhardi, il défie " le méchant" ...
Et j' attends, et j' observe et je décortique ces philosophies et stratégies de peuples ... Mais je ne sais pourquoi, je garde espoir ...

Anonyme a dit…

Pov' gosse, il est happé par l'embrasement démesuré des "grands". On l'aurait couché plus tôt à la tiédeur de la braise fumante, il dormirait calin et suçant son pouce au lieu de dire des bêtises dont il ne comprend pas le sens qu'on va leur donner.
Merci de suivre malgré l'orage grondant, Kaïkan. Bises à toi.