2.10.06

génèse d'un crime (3)

dessin d.m.



Sous la lune blanche
l’arbre phénoménal.


Sous l’arbre,
une table de bois brut.


Deux hommes élus
sculpturaux
face à face
bandés dans l’effort fou
de plier l’autre.



Autour d’eux
un océan braillant,
déchaîné.
Une heure déjà
de ce duel immobile
crispé
où rien ne cède.


Jusque- là
aucun signe de faiblesse
de recul
de ploiement.
Les deux bras
arc-boutés
à l’inflexibilité de l’autre.
Des muscles de bronze,
massifs,
des veines violacées
tendues sous la pression
d’un sang noir
de bœuf.


Les yeux
ne se sont pas quittés
se mordant
d’éclairs sombres.


Ahanant par à-coups
hargneux
chacun essaie
de surprendre l’autre,
le prétentieux,
de s’imposer,
de l’écrabouiller.
Ah ! Ecraser cette main !
La griller à la braise affamée
de la coupelle d’or !


Tout à coup
un silence de tombeau.







dessin d.m.




La main rouge
noueuse
craquante sous l’effort,
dans un spasme soudain
brutal
bouscule sa rivale,
prend le dessus,
on croit entendre grincer
dans les épaules nues
les rouages
de mécaniques
invisibles.


Mais…

Un frein s’est serré
quelque part
dans le bras du roi
aux peintures blanches.


Il a manqué un rien,
une goutte de sang
peut-être,
à la main rouge,
pour aboutir son geste,
pour vaincre.


Mais il est trop tard déjà,
le bras qu’on avait cru,
qu’on avait craint
dompté
s’est rebandé,
s’est ressaisi d’orgueil blessé
et les deux mains
crispées de haine tripale
se retrouvent enserrées
à hauteur de mentons.


Le peuple blanc hurle
de bonheur.


On a eu peur.

En un instant
on a failli n’être plus
que l’ombre d’un peuple
et voilà qu’on est
debout encore
debout toujours.


Les rouges vocifèrent aussi.

On a su dominer,
on saura vaincre !
La volonté de Dieu
n’a t’elle pas frémi
dans le bras
de notre Seigneur ?




« Des hommes sont venus »
Texte déposé à SACD/SCALA




av 14 suit

7 commentaires:

Anonyme a dit…

J' aime ce combat à fleur de bras, Hombre...
La manière dont tu le dissèques en rend chaque seconde vibrante ...
... Et que se taise un instant ces peuples , pour me laisser goûter en mes tripes cette lutte de corps à corps minimalisée à bout de doigts ...

Anonyme a dit…

Kaïkan, si "mes" peuples s'embrasent ainsi, hurlent jusqu'à t'empêcher de goûter le sel cette lutte, c'est qu'ils sont victimes devant nos yeux du phénomène qui veut que l'"homme" se regroupe autour du Chef, du Drapeau, de l'Hymne National, du Combat commun, prèt à commettre, pour défendre Dieu sait quelle "Ligne Maginot" ou "Bleue des Vosges" d'inimaginables crimes. Mon but, à ce moment du récit, et par la suite, est de faire toucher du doigt cette espèce d'hypnose collective qui vous transforme quatre moutons en meute de mille loups (et pour des causes dont ils ignorent le "mot").


"En un instant
on a failli n’être plus
que l’ombre d’un peuple
et voilà qu’on est
debout encore
debout toujours...


...On a su dominer,
on saura vaincre !
La volonté de Dieu
n’a t’elle pas frémi
dans le bras
de notre Seigneur ?

Pour des gens qui se donnaient, amoureusement, une heure auparavant, "délivrés du fardeau de l'appartenance..." faut-il que la "force de cohésivité primo-acquise" soit un redoutable piège...

Si mes peuples s'embrasent ainsi "innocemment" , C'est aussi qu'ils sentent que cette lutte n'est pas une simple confrontation sportive enthousiasmante. Mais de là à imaginer le début d'une germination de graines de haine dont on sait qu'elle peuvent foisonner pour des éternités en inexpugnables forteresses de buissons ardents... Ils ne le savent pas mais ils sont "programmés" pour le pire.

Tout cela est en dilution dans les vers de mon conte. Est-ce évident pour le lecteur?

Merci, Kaïkan, de me donner l'occasion d'éclaircir les sous-tendus de mon travail.
Amicalement à toi.

Anonyme a dit…

Tu as raison, Hombre de souligner de la sorte cette cohésion de foule ... Les " Hosanas" et les " Lapidez-le " côte à côte ... Mon désir de silence était purement égoïste , plastique, artistique... Ce désir d' arrêt sur image en solitaire me plaît plus que tout ...

Anonyme a dit…

Et je le comprends, et je le respecte et je le partage, à mes heures !!!

Anonyme a dit…

message reçu Hombre!
ça m'amuse de te voir expliciter ton propos comme je l'ai fait de mon côté pour la première fois avec désert ;-)
A travers les images seules, le message n'est pas forcément clair, mais à travers les mots non plus! C'est fou ce que cette phrase d'Amélie Nothomb que j'ai déjà cité me parle, lorsqu'elle dit: je sais ce que je mets dans mes livres, je ne sais pas ce que les autres y voient...
J'insupporte au plus haut point les scènes de fusion de la foule derrière un leader et le "on a gagné" des supporters de foot! Ce qui m'ébranle plus que tout ce sont les scènes de films où l'on voit des femmes crier comme le souligne Kaïkan, "pendez-le" ou "brûlez-là"...avec la folie meurtrière dans le regard. Comme dans le film récemment rediffusé "le hussard sur le toit". Je sais que les femmes sont capables du pire, tout autant que les hommes, et cela me bouleverse.

à demain :-)

Anonyme a dit…

Camille, Amélie et toi avez parfaitement raison. C'est le "drame" de l'"artiste" de voir son message mal compris. Pas entièrement perçu. Il m'est arrivé de recevoir les satisfecit de personnes sur un de mes textes et de m'apercevoir qu'elles étaient passé complètement à côté de ce que je voulais dire. Je pense qu'il en est de même pour le peintre ou le photographe quand les commentaires ne se font que sur l'esthétique et non sur le fond. Après, je crois qu'il est un temps nécessaire à la découverte de l'âme de l'auteur et du "langage d'image" de celle-ci. Par la suite, on apprend à "lire entre les lignes" comme on dit et à voir derrière la toile. (d'où peut-être la magie du noir et blanc qui délivre du filtre aveuglant des couleurs et laisse percevoir quelque chose de plus intime, de plus profond, ce que j'appelle l'"ondulence" et qui se ressent si bien sur tes dernières photos ou dans les encres de Kaïkan).
Pour les foules manipulées hurlantes à l'ombre du Chef, je partage ton aversion et je comprends notre amie qui, par moment, coupe carrément le son!
A tout bientôt, Camille.

Anonyme a dit…

tu sais Hombre, je me demande si à travers tout processus créatif, plus que l'offre de notre propre regard sur le monde, c'est l'offre de son propre regard, que l'on fait à celui qui découvre nos mots, nos images, notre musique intérieure...
A travers eux, il se découvre lui-même... D'où cette pensée sur le fait que l'on ne va peut-être que vers ce que l'on sait déjà, parfois avant que l'on n'ait su le formuler, l'extérioriser.

Parfois c'est le mettre en face de quelque chose qu'il dénie, alors il le rejette par autoprotection, il n'est pas encore prêt. Il peut ne l'être jamais.
Parfois, c'est le miroir qui l'élève dans sa vision du "soi" et alors l'unisson se crée et vibre...

Dans tous les cas, il s'agit d'un double monologue, mais comme un chant à deux voix autour d'une même phrase musicale... et c'est toujours miracle à recevoir, à protéger...