4.11.06

jusqu'au bout ?

illustration d.m.






Toute la journée
de chaque côté
de la joute bûcheronne
la consigne a couru
remâchée
rabâchée :


« Au premier craquement
de l’arbre, sauvez-vous,
fuyez de toutes vos jambes ! »


Les sapeurs le savent
encore mieux que les autres.
À la moindre alerte,
tout lâcher et fuir
et après seulement
contempler le travail
savourer la victoire.


Mais commande t’on
à ces choses-là ?


Cela s’est passé
sur un coup de rage.


Un homme de chez les rouges,
englué de sève,
lève sa cognée et
de toute sa force
frappe.


La lame au fil
fraîchement remoulé
s’insinue, profond,
dans la masse.


L’homme tire
s’échine
s’arc-boute
mais l’outil, aspiré
par la chair ligneuse
ne se dessoude pas du tronc.

On vient à la rescousse,
le temps presse
on s’y met à trois, à cinq,
on ahane
on jure
on ajuste l’effort
et tous ensemble
on donne un coup de reins,
un grand,
celui qu’il fallait.


L’outil, arraché enfin
de par le vouloir des hommes
retombe, soumis.















illustration d.m




Alors,
comme échappé
des fondations du monde
un craquement lugubre
déchirant
sinistre,
chapelet de mille et mille
gémissements infernaux
arrachés à mille et mille
fibres torturées vives
au cœur de l’être
qui valse
quelques instants,
comme incertain,
qui s’abandonne
qui fléchit
qui ploie
qui s’affale enfin
de tout son poids
de toute sa mort
sur la masse hagarde
paralysée
pétrifiée
d’un peuple,
du peuple
qui l’a vaincu.


Explosant
dans sa chute
le géant
fauche de ses éclats tièdes
et tranchants
les hommes
par centaines
par milliers,
ceux-là même qui jouaient,
enfants,
à son ombre
crissante de cigales,
qui faisaient l’amour,
immortels,
au creux des racines puissantes
de son érection,
qui, dans le secret
des nuits brumeuses,
s’imprégnaient
de ses ondes bénéfiques
et priaient et pleuraient
à vous en fendre l’âme
pour des bonheurs
fugaces.


Parmi ces corps brisés
écrasés,
deux hommes,
chacun d’un côté
de la frontière tracée
de plâtre blanc,
baignent de leur sang
des plumes orgueilleuses
volées à des cacatoès.








illustration d.m.




Des files harassées d’hommes
de femmes, d’enfants
éberlués
voûtés de détresse
de douleur
de fatigue
de désespoir
reprennent lentement
les chemins poussiéreux
des villages lointains.

Chahutée
par une brise vespérale,
une feuille de papier
s’élève
et plane
dans l’air violet,
offrant au vide spatial
l’image d’un peuple dansant
autour d’un arbre
d’un écureuil
d’un oiseau
d’un scarabée
d’une fourmi,
le dessin
qu’aurait voulu offrir
un petit garçon nu
à une petite fille nue
taquine
déhanchée
la tête légèrement penchée
et au sourire
moqueur.




illustration d.m.




« Des hommes sont venus » extrait 22 Texte déposé à SACD/SCALA

8 commentaires:

Anonyme a dit…

quel commentaire écrire après une fin comme ça...
une pensée pour tous les enfants qui ne terminent pas leur dessin à temps, qui n'entrent pas dans leur vie d'homme... qui s'envolent avant... pendant que les nôtres, stérilisés par leur monde artificiel, n'ont plus même envie de dessiner... reprenons nos crayons, sans gâcher le papier!

Anonyme a dit…

Merci, Camille, de m'avoir accompagné jusqu'au bout de cette histoire qui finit peut-être moins mal qu'on pense, pour peu qu'elle ait permis à quelques personnes de saisir la gravité de l'heure.
Pour ce qui est de nos enfants, on nous les vole à chaque seconde. C'est le plus grand scandale de l'Humanité que de se laisser voler l'âme de ses enfants. Et tout continue et empire à cause de cela. Je me rapelle que Kaïkan évoque cela dans un de ses derniers posts. A cogiter ensemble, de toute urgence !
Merci d'être revenue, Camille.

Anonyme a dit…

Des illustrations comme un sacrifice et un avortement ... Et cet arbre sacrifié ... Au moins a-t-il rendu le peuple à lui-même ... Qu' en fera-t-il?
Depuis le début, Hombre l' image me renvoie à une image christique ... Le sang qui coule et hydrate la terre ... Un sang vierge pour une humanité libre et cette feuille d' enfant, ailes d' anges qui montent au ciel ... Et je chante, hombre, je chante, la voix accompagnée de sanglots ...

Anonyme a dit…

Je ne sais que dire, Kaïkan, je ne suis que témoin d'un monde.Je ne suis pas croyant et je pense que chaque goutte de sang versée est une goutte de trop. Les Grecs jetaient des vierges à la mer pour calmer la tempête, d'autres me disent qu'on a cloué un homme sur une croix pour sauver le monde... Et si on faisait simplement la Paix avec notre planète et sa vie foisonnante? Si on retrouvait la voie d'une vie SIMPLE? Où l'on ne chanterait pas pour couvrir les hurlements et les cris des mères mais parce qu'on est heureux de vivre? Et si...Et si...
Merci, très chère Kaïkan, d'avoir suivi ma triste histoire jusqu'à son terme. Et d'avoir apporté ta pierre à chaque étape. Merci.

Anonyme a dit…

Je choisis mais c'est difficile

-parce que j'aime ta façon de conter
-parce que je suis restée un peu comme les petits enfants qui souhaitent une fin heureuse et que tes histoires n'en ont pas forcément une,comme la vie évidemment, la vraie...

Je te passe commande dans la semaine.
Devais m'abonner au matricule mais ça attendra un peu.

Pas tout lu non plus.
Bonne nuit et à Kaikan aussi. j'ai commencé à lire son blog, une belle plume...

libre bulle

Anonyme a dit…

Et bonne nuit à Camille aussi

Anonyme a dit…

Quelqu'un m'a parlé de compassion récemment,
Pour ce Christ cloué qui ne l'aurait été que pour son innocence et son idéal?

Tous les idéaux "extrêmes" ne mènent pas à la paix malheureusement.
Dans les pays pauvres ou dévastés, les religieux profitent des gens pour les évangéliser, et ça, je trouve cela immonde...
Libre bulle

Anonyme a dit…

Après, espérer en un Dieu n'est pas immonde bien sûr et humain.